luff festival: industrial poetry night
Après un épluchage minutieux du programme, je devais me rendre à une évidence: ce festival sera de toute manière placé sous le signe de la découverte en ce qui me concerne, je ne connais absolument aucun réalisateur, acteur, performeur, musicien ou DJ à l’affiche….
Je découvre ainsi pour la première fois la salle principale de la cinémathèque suisse, la ‘paderewski’ pour la séance d’ouverture du festival. Après une timide cérémonie d’ouverture transformée en direct en une mini prise d’otage pour promouvoir le projet ‘otages 06’ actif durant le festival, à l’affiche ce soir: ‘Neighborhood Watch’ le premier film de Graeme Whifler, actif jusqu’alors dans l’écriture de scénarios ou dans la réalisation de vidéo clips pour des groupes tels que The Resident, Devo, Oingo Boingo ou The Red Hot Chili Peppers. Je ne m’attendais pas à une sinécure, le programme avertissait que ce film pouvait choquer, susciter le dégoût, voire même provoquer des évanouissements: j’allais vite le comprendre.
L’histoire raconte les déboires d’un jeune couple venu s’installer dans une banlieue résidentielle a priori des plus quelconques, où l’on salue d’un geste son voisin en train d’arroser son jardin en prenant son journal lancé sur le pas de la porte par un gamin sur son vélo, où les mères au foyer préparent des montagnes de cookies en attendant le soir. Le rêve américain dans son petit pavillon. Il n’y avait même pas besoin de lire le programme, le générique à lui seul faisait comprendre que quelque chose clochait dans ce joli paysage. Sans en dire plus, je ne pourrai que recommander ce film aux amateurs de gore, en les avertissant toutefois d’aller manger avant de voir le film plutôt qu’après…
Je sortais prendre un bol d’air salvateur avant de rejoindre la grande salle et d’assister à la partie musicale de la soirée, dédiée aujourd’hui à la poésie industrielle, ‘réunion des Grandes Marquises de la décadence et du pop terrorisme’ selon le guide.
Me frayant un passage dans une foule dense pour me placer près de la scène, je fais un véritable voyage dans le temps, me retrouvant dans l’ambiance particulière de mes premières soirées, où les musiques electro dark et industrielles prédominaient. Encore fortement troublé par la séance d’ouverture, je ne pouvais pas être dans une meilleure situation pour ce qui m’attendait, soit l’entrée en scène de Lydia Lunch, poète, actrice, réalisatrice, compositrice, narratrice, chanteuse avec les 8-Eyed Spy, Thurston Moore, Sonic Youth, MARS, The Birthday Party, Lee Ranaldo, Nick Cave, ou encore Einstürzende Neubauten, véritable égérie underground américaine, venue ce soir pour présenter son projet multimédia.
Plongée dans une ambiance sombre et mélancolique par les accords lancinants d’un groupe en parfaite symbiose, Lydia Lunch joignait à sa nonchalance apparente une longue complainte désabusée décrivant les ressentiments vis-à-vis des guerres et injustices, tantôt critique envers son pays, tantôt prétentieuse et arrogante. Ne trouvant que complainte inconstructive dans son dialogue j’en venais à regretter son élocution permanente, ne pouvant pas profiter simplement des musiciens.
Sans pour autant avoir été déçu du spectacle, je me réjouissais de découvrir Antoine Chessex et son style particulier. Aux antipodes de King Curtis ou de Stan Getz, ce jeune artiste suisse joue de son saxophone ténor en l’amplifiant avec deux gros amplificateurs marshall… Franchement le résultat est décoiffant, une véritable explosion de basses fit trembler le casino de Montbenon, soufflant, hurlant, se tordant de manière hystérique, les sons ravageurs rappelaient furieusement les riffs de Napalm Death. Le spectacle cloua tout le monde sur place en cinq minutes, il n’en fallait pas plus avec une telle intensité.
Je me rendais compte que je n’étais pas au bout de mes surprises en voyant arriver Genesis P-Orridge, pionnier dans divers registres allant des musiques industrielles, expérimentales à l’acid music, androgyne, possédant les deux sexes pour pouvoir séduire chacun, venue présenter ce soir son projet ‘Thee Majesty’ accompagnée d’un joueur de tablas et de deux guitaristes.
Assise dans un fauteuil, à côté d’un majestueux bouquet de rose, l’étrange conteuse berça l’ambiance de ses mots choisis, soignant son anglais pour être comprise de tous (sinon on pouvait aller se faire f****e selon ses dires) sous les accords saturés des nappes prodiguées par les musiciens. Je la suivais un moment dans son voyage, mais le temps s’égrenait ma foi bien trop vite ce soir, les impératifs professionnels me forçaient à quitter la soirée avant la fin de la performance, à regrets. Je devais également tirer un trait sur ce que j’allais apprendre le lendemain, et qui resterait pour le public présent un immense moment: le concert de Gabi Delgado, membre fondateur de DAF, et de Marc Hurtado de ‘Etant Donnés’, ayant déchiré la nuit lausannoise d’un surpuissant électro punk dévasteur.
Tandis que le public du Luff s’adonnait à un pogo des grands soirs, je rentrais sagement au bercail, essayant de me remémorer les sensations m’ayant envahi durant la soirée, incroyablement riche en couleur, tenant à elle seule plus d’intensité que dix soirées en club. Je regrettais simplement de ne pas avoir pris la semaine de congé tant j’avais déjà hâte d’y retourner…
Article posté originalement sur le site hexadance.com pour l’évènement: ‘11.10.2006 luff festival: industrial poetry night @ Casino de Montbenon
